Expressions argotiques

Au delà des expressions… le vernaculaire

Durant mes études à Montréal, la diversité ethnique et linguistique de la ville m’ont fait vivre — parfois par de drôles de quiproquos — l’expérience multiculturelle comme une ressource inouïe à la création. C’est dans cette ouverture entre les langues et les cultures, particulièrement entre la dualité du français québécois versus le français européen, qu’il m’est apparu important d’investir ma pratique dans « une appréciation esthétique de la langue » 1 .

Intitulé Expressions argotiques (2015), mon projet s’est déclenché par un sondage effectué auprès de la communauté uqamienne. Réalisé par un questionnaire en ligne, ce sondage m’a permis de recenser des expressions orales populaires, voire folkloriques, principalement franco-québécoises telles que « rire jaunes », « porter un toast », « prendre son pied », « avoir de la broue dans le toupet », etc.

L’étape suivante de mon projet était d’organiser des shootings dans des lieux que je nommais « studios éphémères » et dans lesquels je sollicitais la participation volontaire d’amis, de connaissances et parfois d’inconnus, pour être les modèles. Ces séances consistaient, par le médium photographique, à imager avec le corps des participants les expressions préalablement recensées, figures de style textuelles, qui initialement font appel à l’imaginaire intellect 2  :

«constat devenu banal : les mots ne sont pas toujours utilisés pour les choses auxquelles ils paraissent destinés. Pour rendre compte de ces glissements, il semble aujourd’hui préférable de recourir à des régies générales de dérivation […] souvent incontrôlée et plus ou moins arbitraire, du nombre de sens assignés à une même expression donnée.» 3 

 

 

Avoir un coeur d'artichaut En effet, une expression courante telle qu’« avoir un cœur d’artichaut » peut sembler anodine, pourtant elle témoigne un langage culturel hédoniste. Autrement dit, ces élocutions, par leur plurivocité, servent a priori à exprimer verbalement une pensée de manière efficace et cocasse sans le moindre effort.

Après avoir imagé plusieurs expressions relevées dans le sondage mentionné ci-dessus, j’ai constaté que sans contexte dialogique l’expression devenait une énigme. Expliquée allégoriquement comme une image qui parle, ces photographies semblent déjouer notre compréhension visuelle en faisant penser que ce que l’on voit n’est pas ce que l’on doit voir.

porter un toast

À titre d’exemple, l’anglicisme « porter un toast », figuré par des mains trinquant littéralement avec des tranches de pain grillé, nous renvoie d’abord à son absurdité empreint d’humour.

Après tout, l’humour, le jeu, est peut-être l’antidote — ou la diversion — pour renverser la vapeur du stress quotidien.


1. Piccardo, E. (2016). La diversité culturelle et linguistique comme ressource à la créativé. Voix plurielles, 13(1), p. 63.

2. Les emplois verbaux figurés, souvent métaphoriques, permettent d’exprimer une idée abstraite en mettant l’imagination au service de l’intellect. Cette explication est tirée de Le Guern, M. (1973). Sémantique de la métaphore et de la métonymie. Paris: Larousse. p. 46.

3. Kleiber, G. (1999). Problèmes de sémantique, la polysémie en questions. Presses Universitaires du Septentrion, p.105.


Liste des expressions de la série photographique : avoir un coeur d’artichaut; croqueuse de diamants; grimper dans les rideaux; prendre son pied; avoir de la broue dans le toupet; être dans les patates; rire jaune; tordre un bras; parler dans le blanc des yeux; marcher sur des oeufs; porter un toast; avoir le cul bordé de nouilles